Contributions écrites des étudiants — 22 juillet 2020

Le rapprochement de la Russie avec le Pakistan : une convergence d’intérêts

Par Doris Schmidt, diplômée d’IRIS Sup’ en Géopolitique et prospective

 

Historiquement distants, la Russie et le Pakistan ont entrepris, depuis quelques années, un rapprochement, tant économique que diplomatique, et depuis peu également en matière de défense. Ces deux États partagent des intérêts communs que ce soit dans les échanges commerciaux, les projets énergétiques ou la stabilisation de la région sud-asiatique et plus particulièrement l’Afghanistan.

 

Le Pakistan et la Russie se rapprochent

Durant de nombreuses années, la relation entre la Russie et le Pakistan est restée faible, seuls quelques accords commerciaux et de coopération économique, ainsi que des contrats de vente d’armement, ont été signés. L’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, et le soutien du Pakistan aux moudjahidin ainsi qu’aux talibans ont renforcé la distance entre ces deux États. Ce n’est qu’après la Guerre froide, par la combinaison de plusieurs facteurs – tels l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine et le changement de position du Pakistan face aux talibans suite aux attentats de 2001 – qu’un rapprochement entre la Russie et le Pakistan a pu être considéré. Par la suite, les visites diplomatiques et les accords commerciaux se sont multipliés et des efforts conjoints dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et le terrorisme ont été mis en place. La Russie a soutenu la demande du Pakistan de rejoindre l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) – à laquelle il a adhéré en 2017 – et en retour, le Pakistan a soutenu la demande de la Russie afin de devenir membre observateur de l’Organisation de coopération islamique.

Dès les années 2010, on assiste à un tournant important dans le rapprochement entre Moscou et Islamabad. En 2014, la Russie lève l’embargo contre le Pakistan, qui concernait la vente de matériel militaire, et des navires de guerre russes accostent pour la première fois dans le port de Karachi. À cette même période, le Pakistan se distancie des États-Unis en raison de leurs multiples désaccords et des menaces récurrentes de la part de Washington de supprimer l’aide financière accordée si le Pakistan n’agit pas comme demandé par ces derniers.

 

Une convergence d’intérêts  

 

Partenariats économiques Russie – Pakistan

La volonté de rapprochement de la Russie et du Pakistan est perceptible dès les années 2003, notamment par l’augmentation significative des échanges commerciaux, parallèlement au rapprochement diplomatique qui se met en place. Leurs échanges commerciaux représentent en 2003 USD 89 millions pour être de 730 millions USD en 2018[1].

Le développement des ventes d’armement de la Russie à destination du Pakistan a, durant de nombreuses années, été freiné par le partenariat de Moscou avec New Delhi. Or, depuis 2013, l’Inde cherche à diversifier ses partenariats en matière d’armement et se tourne vers d’autres fournisseurs, impactant fortement la relation Russie-Pakistan dans ce domaine. En parallèle, dès les années 2011, le Pakistan réduit ses importations d’armes en provenance des États-Unis pour se tourner vers la Chine. La combinaison de ces éléments a favorisé, dès 2014, la vente d’armes de la Russie vers le Pakistan, avec une croissance significative dès 2017, en raison du changement de position diplomatique de la Russie face au principe de vente d’armes au Pakistan. Ainsi, en 2018, le Pakistan se positionne en dixième position des pays destinataires des exportations d’armes de la Russie[2].

 

Coopération et investissements dans les projets énergétiques

Le Pakistan fait face à d’importants besoins énergétiques, et doit développer ses infrastructures pour répondre à la demande interne. La Russie s’est présentée comme partie intéressée dans plusieurs projets.

Elle participe notamment aux projets de gazoduc Iran-Pakistan-Inde (IPI) et Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde (TAPI). Il en va de même pour le gazoduc GNL de Karachi à Lahore, dont la construction et l’entretien reviendront aux entreprises russes durant 25 ans. La Russie participe également au projet CASA-1000 qui prévoit le transfert d’énergie hydroélectrique provenant du Tadjikistan et du Kirghizistan au Pakistan et à l’Afghanistan. Mais une des difficultés de ce projet est la situation instable en Afghanistan. Le China Pakistan Economic Corridor (CPEC) voit également une implication de la Russie.

 

Coopération en matière de défense

La coopération de la Russie et du Pakistan en matière de défense s’est mise en place depuis 2014, avec la signature d’un traité de coopération militaire. Depuis lors, des exercices conjoints se déroulent annuellement. Des contrats de formation de militaires pakistanais par la Russie et la livraison au Pakistan d’hélicoptères de combat russes ont également été signés. Un événement important est l’accostage, pour la première fois en 2014, de navires de guerres russes dans un port pakistanais. Cet élément est stratégique pour la Russie qui dispose ainsi d’un point d’accostage en mer d’Arabie. Puis en 2018, un protocole d’accord a été signé entre la Russie et le Pakistan dont l’objectif est de favoriser le développement de la coopération navale entre les marines russe et pakistanaise.

Cette récente coopération a des répercussions régionales et impacte l’équilibre en Asie du Sud. La Chine, le Pakistan et la Russie sont trois puissances nucléaires, coopérant en matière de défense, d’échanges commerciaux et dans le cadre de la Belt and Road Initiative (BRI). L’Inde a exprimé son malaise face à ces mouvements.

 

Une coopération Russie – Pakistan pour une stabilisation de l’Asie du Sud

La Russie et le Pakistan ont comme objectif commun de parvenir à une solution instaurant la stabilité dans la région sud asiatique, passant par une résolution du conflit afghan. Cette stabilité leur est indispensable pour réaliser leurs objectifs individuels, à savoir, pour la Russie, l’augmentation de son influence en Asie du Sud, la consolidation de sa position de partenaire indispensable dans les crises mondiales et la sécurisation de sa frontière sud qui est, depuis toujours, une zone de grande fragilité. Pour le Pakistan, la stabilité régionale est indispensable pour permettre le développement du CPEC en partenariat avec la Chine et acquérir par-là, une montée en puissance économique et stratégique. Il vise à devenir l’égal de l’Inde, ce qui pourrait être réalisé uniquement dans un contexte de stabilité régionale.

Les États-Unis, considérant les intérêts communs de la Chine, du Pakistan et de la Russie, cherchent à soutenir davantage l’Inde dans cette région pour renforcer son poids et contrebalancer le trio.

 

Les jeux d’influences face à ce rapprochement

Les équilibres régionaux de la zone sud asiatique et les alliances forgées pendant la Guerre froide fluctuent. Chacun des acteurs agit selon ses objectifs nationaux et les alliances sont, dans la majorité des cas, basées sur des intérêts économiques et/ou diplomatiques convergents.

Dans les années 2012-2014, plusieurs mouvements s’opèrent dans la région sud asiatique : le renforcement de la politique étrangère de la Russie vers l’Asie, la convergence de la Russie vers la Chine et le Pakistan, la distanciation du Pakistan avec les États-Unis, et enfin, le rapprochement de ces derniers avec l’Inde. À cette même période, les États-Unis annoncent leur retrait d’Afghanistan et la Chine travaille à la mise en œuvre de la BRI. Le rapprochement de la Russie avec le Pakistan doit être considéré globalement dans ce contexte en mutation.

La relation Russie-Pakistan est particulièrement influencée par la Chine, l’Inde et les États-Unis. Chaque mouvement de l’un de ces États agit sur les autres pour s’influencer mutuellement. La Chine influence la relation russo-pakistanaise notamment par le biais du CPEC et dans le conflit afghan. L’Inde ne voit pas d’un bon œil la relation de la Russie et du Pakistan se développer. Elle craint la montée en puissance économique et militaire du Pakistan et le poids que représentent ces deux puissances – alliées avec la Chine – dans l’équilibre régional sud asiatique. Cette crainte contribue largement au rapprochement entre l’Inde et les États-Unis. Washington voit d’un mauvais œil la montée en puissance du trio Russie-Chine-Pakistan, ainsi que le développement de leurs partenariats économiques, énergétiques et de défense. Les États-Unis craignent dans ce contexte une perte de leur influence en Asie du Sud.

Soucieuse du maintien de sa relation historique avec l’Inde et d’une bonne relation avec les acteurs régionaux, la Russie, dans son rapprochement avec le Pakistan, va ainsi devoir être vigilante dans l’équilibre de ses relations, particulièrement en raison des rivalités entre l’Inde et le Pakistan.

 

Doris Schmidt est diplômée d’IRIS Sup’ en Géopolitique et prospective. Cet article reprend la problématique développée dans son mémoire de fin d’études à IRIS Sup’, portant sur « Le rapprochement de la Russie avec le Pakistan depuis les années 2012 ». Pour contacter Doris Schmidt ou en savoir plus sur son profil, rendez-vous sur sa page LinkedIn

 

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[1] Base de données FMI

[2] Base de données SIPRI

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