Nouvelles des anciens — 18 avril 2017

Aparté avec un ancien – Anaïs Lledo, Responsable Support Urgence à Action contre la faim

Après des missions en Guinée et en Irak, Anais Lledo travaille aujourd’hui en République démocratique du Congo en tant que Responsable Support Urgence pour Action contre la faim. Ambitieuse et déterminée, elle y est à la tête d’une équipe de 15 personnes. L’ancienne étudiante d’IRIS Sup’ en Responsable de programmes internationaux revient sur son parcours.

Vous êtes Responsable Support Urgence chez Action contre la faim (ACF). Quel est votre rôle ?

ACF a mis en place tout un programme urgence en République démocratique du Congo (RDC) de réponse rapide aux crises nutritionnelles. Je gère l’ensemble de l’aspect support de la base urgence intégrée à la coordination de Kinshasa, c’est-à-dire l’administratif, les ressources humaines, la finance et la logistique (approvisionnement, etc.) de ce programme.

Concrètement, l’État congolais émet des alertes chaque mois sur la malnutrition dans des endroits du pays. ACF reçoit ces alertes et se rend ensuite sur place faire une enquête pendant environ un mois et demi. Si l’enquête relève effectivement un certain pourcentage de malnutrition dans la zone, ACF y déploie pendant six mois une équipe. Cette dernière est composée d’encadreurs techniques, nutrition et « wash », ainsi que d’un logisticien et un administrateur. L’objectif est d’assurer une formation à la prise en charge médicale de la malnutrition pour tous les médecins et infirmiers de la zone de santé, ainsi que de munir les centres de santé en aliments thérapeutiques, médicaments et distribution de kits aux familles. Il s’agit donc d’approvisionner cette équipe en intrants pendant six mois. Il faut savoir que la logistique en RDC est malheureusement connue pour être l’une des plus difficiles. Le pays est en effet l’un des plus grands d’Afrique – une zone santé peut être grande comme la moitié de la France – mais sans infrastructures de transport. Pour donner un ordre d’idée, il faut parfois une journée pour faire 40km, avec de la boue jusqu’aux genoux. Beaucoup de zones sont ainsi uniquement accessibles à moto, à vélo, voire à pied. L’une de mes équipes doit par exemple faire six jours de marche avant d’accéder à une zone. Quant au matériel, il part de Kinshasa par avion, arrive à Goma et de là, part en hélicoptère jusqu’au lieu de mission.

En termes d’équipe, je gère trois personnes directement : un logisticien, un administrateur et une stagiaire. Le logisticien et l’administrateur dirigent eux-mêmes six personnes chacun, donc indirectement, je gère 15 personnes au total, qui sont déployées sur six bases.

De quoi sont faites vos journées ?

Une journée type peut être le démarrage d’une intervention, quand on lance une ouverture de base pour six mois. Cela se prépare beaucoup en amont car il faut s’assurer d’abord d’avoir acheté préalablement tous les intrants nécessaires à l’intervention. Pour cela, il faut s’y prendre au minimum un mois à l’avance, voire bien plus de trois mois dans le cas d’achats internationaux. Ensuite, on élabore les kits avec les intrants : le kit formation comporte des cahiers, stylos, modules de formation, etc. Le kit équipement vise à munir l’équipe sur place qui va rester y vivre six mois. Le kit intervention est à l’attention de centres de santé et comporte des médicaments, aliments thérapeutiques, fûts, etc. Le kit « wash » est donné aux familles qui viennent au centre de santé se faire soigner et qui repartent avec ; il est composé de savons, du nécessaire pour faire de l’eau potable, tels que seaux, bassines, jerricans, etc. En effet, bien souvent la malnutrition est due à la nourriture (indisponibilité, inaccessibilité) mais aussi à des problèmes d’eau non potable, qui entraînent des maladies gastriques.

On achète donc tout ce matériel, puis on élabore les kits et on les prépositionne pour le jour où l’intervention démarre. Dès lors, on envoie les kits par camions, en sachant qu’une quarantaine de tonnes d’équipements sont nécessaires pour chaque intervention. Voici ce qui se passe dans une situation idéale, mais la réalité c’est l’urgence. Si on vous annonce que la situation humanitaire se dégrade sur place alors que vous n’étiez pas censés ouvrir l’intervention avant deux semaines, vous envoyez l’équipement même si vous n’avez pas terminé. C’est donc une course constante pour effectuer dans l’urgence les achats, assembler les kits et les envoyer, avec les erreurs que cela peut parfois impliquer et le travail de rattrapage derrière nécessaire.

Quant à l’aspect administratif, il concerne notamment la comptabilité et la conformité aux lois locales (droit du travail, fiscalité, etc.). On a des comptes à rendre à nos bailleurs qui veulent légitimement savoir si l’argent est bien dépensé pour ce qui est prévu. Tous les bailleurs à ce sujet n’ont pas le même degré d’exigence et laissent plus ou moins de latitude aux ONG. Il faut donc tenir à jour des dossiers d’achats, des factures, une identification claire des fournisseurs, etc. Cette gestion administrative est nécessaire vis-à-vis des bailleurs mais également vis-à-vis des autorités locales qui sont, bien sûr, souveraines.

Vous avez travaillé en Guinée, en Irak et maintenant au Congo. L’expatriation est-elle indispensable lorsque l’on travaille dans le secteur humanitaire ?

Je pense que oui car le fossé est grand entre ce que l’on peut s’imaginer et la réalité du terrain. Cette différence de point de vue s’en ressent parfois dans les relations entre collègues situés sur le terrain, ceux en capitale et ceux au siège. Ce phénomène peut être accentué par l’organisation pyramidale de certaines ONG. Bien souvent, le terrain doit donc se plier à la capitale, qui elle-même doit se plier au siège. Par ailleurs, l’équipe de coordination ne prend parfois pas la mesure des impacts psychologiques subis par les équipes de terrain, bien que de plus en plus d’ONG mettent en place des suivis.

Face à de telles situations d’urgence doublées de contraintes administratives, comment garder le moral ?

Il est effectivement difficile de ne pas être prise parfois de moments d’abattement. Mais il faut vraiment garder le cap sur le but de nos interventions et se dire qu’au final, on se trouve du bon côté de la barrière. Certes, log-admin est un rôle très procédural et administratif, on a ainsi parfois l’impression de servir davantage le bailleur que le projet. Mais en réalité, sans logistique, ni administration, les projets ne verraient pas le jour.

Envisagez-vous de revenir travailler en France un jour ?

Oui assurément car je ne pense pas qu’être expatrié soit un statut à garder toute sa vie. Soit on vie de plein fouet le malheur des gens sur le terrain et on éprouve une fatigue de l’empathie ; soit on est trop éloigné en capitale. La vie d’expatrié en capitale est d’ailleurs très particulière : on vit dans un microcosme et les règles de sécurité ne laissent parfois pas d’autres choix que cet entre-soi. Je pense donc à une reconversion en France, idéalement toujours dans le secteur de l’humanitaire. Le problème est que je ne souhaite pas vivre à Paris ; or tous les sièges d’ONG s’y trouvent. Je vise donc une ONG locale en province, voire une reconversion totale dans l’agriculture.

Après votre licence de droit, pourquoi avoir choisi d’effectuer le cursus Responsable de programmes internationaux à IRIS Sup’ ?

Je ne me rappelle pas quel a été le déclic pour faire de l’humanitaire. J’envisageais de faire du journalisme ou du droit international pour intégrer l’ONU mais j’ai abandonné car ces organisations requièrent un profil très élitiste. J’avais aussi trouvé le carcan universitaire très étroit, dans lequel il était difficile de rendre un travail critique. Une amie, ancienne étudiante à IRIS Sup’, m’avait alors parlé de l’école, vantant l’ouverture d’esprit et la liberté d’expression qui y régnaient. Ce sont les raisons pour lesquelles j’ai décidé de m’y inscrire une fois ma licence de droit obtenue.

Quel souvenir gardez-vous d’IRIS Sup’ ?

Un excellent souvenir des deux années, dont je vante beaucoup les mérites. D’ailleurs, même ici à Kinshasa l’épouse congolaise d’un collègue s’est inscrite à la première année d’IRIS Sup’ par correspondance, la coïncidence est amusante. De manière générale, ces années à IRIS Sup’ étaient extrêmement stimulantes avec des intervenants incroyables et la qualité de l’enseignement était aussi au rendez-vous. En particulier, j’ai beaucoup apprécié la grande latitude, la liberté d’expression et la possibilité d’avoir une proximité directe avec les intervenants. Par exemple, je garde encore des souvenirs marquants des interventions de Thomas Snegaroff, Andreï Gratchev l’ancien porte-parole de Gorbatchev, ainsi que de Georges Lefeuvre et Pascal Boniface. Imaginez, chaque semaine, 1h de conférence de Pascal Boniface !

A votre époque, les étudiants participaient à la rédaction d’un projet fictif (depuis 2014, les projets sont réalisés en partenariat avec des ONG). Le vôtre portait sur l’assainissement écologique à Jimma. Ce type de projet vous-a-t-il servi par la suite dans votre parcours professionnel ?

En fait, ce projet était assez créatif. Or, dans les grosses ONG, les projets sont généralement axés sur les interventions « classiques », dont le design et les résultats sont bien connus. L’assainissement écologique est encore vu comme une idée un peu « bobo », et n’est pas encore pris en compte par les ONG dans leur programme. Pourtant, je reste persuadée que ces techniques sont les mieux adaptées aux réalités locales. Par ailleurs, chef de projet n’est pas un poste qui court les rues. En réalité, c’est le poste de logisticien/administrateur que l’on rencontre le plus facilement sur le terrain. Cependant, ce n’est pas parce que l’on est log-admin un jour que l’on va le rester éternellement, c’est même un plus que de bien connaître ces aspects, souvent négligés dans les rédactions de projet.

Durant votre master à IRIS Sup, vous avez également effectué un stage d’été au pôle recherche-rédaction de l’IRIS. Que vous a apporté cette expérience ?

Ce stage de deux mois a été génial. Il m’a donné confiance en mes capacités d’analyse. À cette époque, j’étais passionnée par les paradis fiscaux et le blanchiment d’argent. Pim Verschuuren m’a donc appelée pour un stage à l’IRIS sur la rédaction d’un chapitre du livre blanc sur le blanchiment d’argent par les paris sportifs. Je n’étais pas du tout intéressée par les paris sportifs à l’origine mais le sujet m’a ouvert l’esprit. J’ai adoré la grande latitude laissée par monsieur Verschuuren, qui m’a laissé élargir le sujet et avoir une grande marge de manœuvre.

Vous considérez donc que la proximité entre IRIS Sup’ et l’IRIS représente un plus pour l’école ?

Assurément. Les intervenants sont des gens intéressés par ce que tu penses. Tu nourris leurs propres réflexions et en retour, ils sont ouverts aux tiennes. C’est vraiment cette latitude et cette confiance donnée aux élèves qui est formidable à IRIS Sup’.

Conservez-vous des relations avec vos anciens camarades d’IRIS Sup’ ?

Le hasard a fait que l’un de mes camarades avec qui j’avais effectué le projet fictif écologique est devenu l’un de mes collègues en Guinée. J’ai aussi travaillé avec une ancienne de la promotion Humanitaire sur le terrain, lors de la crise d’Ebola. J’ai également gardé rapidement contact avec d’autres étudiants sur Facebook.

Vos expériences reflètent une grande diversité : stage en capitalisation de programme d’agriculture familiale, participation à la rédaction d’un livre sur les paradis fiscaux, un autre sur le blanchiment d’argent, intérêt pour l’agriculture et l’assainissement écologique… Ces centres d’intérêt variés ont-ils été un atout pour rendre votre CV attractif ?

Oui et non. Parfois, un CV qui n’est pas linéaire peut faire un peu peur au recruteur. Parfois, c’est l’inverse : un CV diversifié est un atout car il éveille la curiosité et prouve des capacités d’adaptation, d’intérêts et d’analyse larges. Ce que j’ai déjà dit à des étudiants d’IRIS Sup’, c’est que vous êtes maîtres de votre propre histoire. Si vous avez eu un moment ‘chaotique’, il suffit de trouver une phrase qui explique que, non, ce n’était pas un parcours subi mais un parcours voulu, visant à affiner ses projets. Alors, le recruteur apprécie votre capacité d’adaptation.

Mon parcourt apparaît donc cohérent car les problématiques de développement m’ont toujours intéressée. Je pourrais résumer mon raisonnement de cette manière : les paradis fiscaux privent les États de leurs ressources fiscales, le blanchiment d’argent facilite la corruption et la population en pâtit par l’absence d’investissements, d’infrastructures et de service public. Je pense ainsi que la meilleure manière de renforcer la population est par la transmission de techniques alternatives agricoles et d’assainissement écologiques, adaptées aux terrains et peu coûteuses. J’ai donc axé mes études sur tous ces axes de projet possibles. Mon stage à la Croix rouge durant la crise d’Ebola a été une excellente porte d’entrée, très formateur sur un terrain à la fois stressant et passionnant. En effet, les grandes crises sont toujours des portes d’entrée pour des premières missions, comme le tremblement de terre à Haïti, Ebola, la Centrafrique, etc., car le besoin en RH est énorme. Michel Maietta, mon responsable pédagogique, m’a fait savoir que la Croix rouge cherchait un stagiaire pour le terrain. J’ai donc passé l’entretien et j’ai commencé le stage deux jours après. Puis deux mois plus tard, je suis allée sur le terrain en tant qu’assistante de chef de délégation et très rapidement, je suis devenue administratrice. Le poste de log-administratrice est ainsi une très bonne porte d’entrée dans l’humanitaire car toutes les ONG en ont besoin. Chez ACF, je me rapproche des thématiques agricoles qui me plaisent car on ne lutte pas contre la faim si on n’aide pas les gens à produire leur propre nourriture.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants d’IRIS Sup’ ?

D’être très mobile et réactif. D’avoir une grande capacité d’adaptation. Enfin, d’être très patient car dans l’humanitaire, il faut prendre le temps de faire ses preuves. C’est un très beau milieu dans lequel on rencontre des personnages extraordinaires.

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